Devenu avocat en 1977, Antoine Sollacaro, 63 ans, après avoir débuté sa carrière en défendant des nationalistes, était devenu le pénaliste insulaire le plus célèbre. Itinéraire d’un avocat engagé.
En 1979, deux ans après avoir prêté serment, le jeune avocat Antoine Sollacaro faisait ses premières armes, à Paris, devant la Cour de sûreté de l’État qui jugeait 21 militants du FLNC. Deuxième procès historique dans l’histoire de la Corse après celui d’Edmond Simeoni qui, en 1976, avait comparu en compagnie d’une dizaine d’autonomistes pour l’affaire de la cave d’Aleria. C’est également en 1976 qu’avait été créé le FLNC dont les premiers militants, après une vague d’arrestations, avaient été interpellés, incarcérés, avant de comparaître devant la Cour de Sûreté de l’État. En tout cas, 21 d’entre eux dont certains étaient défendus par Antoine Sollacaro. À l’époque, il n’était pas encore connu, et ce sont deux avocats bastiais, Mes Charles Santoni et Vincent Stagnara, qui avaient été les leaders de la défense corse.
Si, les années suivantes, Antoine Sollacaro avait continué à plaider pour des nationalistes ou des droits communs, en Corse et sur le continent, où il avait notamment défendu, en 1963, un natif de Propriano, comme lui, le tueur Thommy Recco, sa carrière « nationale » avait vraiment débuté en juillet 1985 lors du fameux procès dit « de Lyon ». Une affaire très suivie par la presse nationale où trois militants du FLNC, Bernard Pantalacci, Pierre Albertini et Pantaleon Alessandri, comparaissaient pour avoir exécuté, après s’être introduit dans la prison d’Ajaccio, deux des membres du commando de voyous responsable de la mort de Guy Orsoni en juin 1984. Une opération que les nationalistes imputaient à certains services français accusés d’avoir « couvert » des membres du milieu local.
La personnalité peu reluisante des deux voyous au regard de l’image d’honnêteté que donnaient Pantalacci, Albertini et Alessandri avait poussé l’ensemble de la presse à comprendre le geste des accusés et le procès s’était déroulé dans une telle sérénité que les observateurs les plus sceptiques avaient fini par croire en la justice, ce qui n’est pas souvent le cas en Cour d’Assises… Après le réquisitoire, au cours duquel le procureur général Truche avait requis la réclusion criminelle à perpétuité pour les trois principaux accusés, les avocats avaient plaidé. D’abord les toutes jeunes avocates, à l’époque, Marie-Josée Bellagamba, Marie-Hélène Mattei et Frédérique Campana, puis Vincent Stagnara et finalement Antoine Sollacaro. Une plaidoirie si émouvante et si efficace que celui qui devait conclure les débats, le grand avocat lyonnais Me La Phong, un ténor reconnu par tous, admiratif, a un moment envisagé de ne pas intervenir. « Ça suffit, il a tout dit, ce n’est pas la peine que je plaide » avait-il confié à l’une de ses consoeurs. Et, au terme de ce procès qui restait l’un des meilleurs souvenirs professionnels de Sollacaro et des avocates corses qui l‘accompagnaient, Albertini, Pantalacci et Alessandri n’avaient été condamnés qu’à 8 ans de réclusion.
Antoine Sollacaro, né en 1949 à Propriano, après avoir séjourné 5 ans chez les frères maristes, à la Seyne-sur-mer, après la mort de son père dans un accident d’avion, a d’abord commencé des études de médecine. Tout cela après avoir, un moment, envisagé de devenir officier de marine. Puis avec son ami Jean-Louis Seatelli, devenu avocat à Bastia, il s’est finalement dirigé vers des études de droit. C’est à cette époque, lui qui avait toujours mal vécu son éloignement de l’île, qu’il découvre ce qui allait devenir le nationalisme corse. En 1973, avec Pierre Poggioli et Léo Battesti, il participe à la création de la CSC, le syndicat d’étudiants corses de Nice. À cette époque, comme les autres, il milite pour l’installation d’une université à Corte. Un peu plus tard, alors qu’il vient de devenir avocat, il commence à défendre Léo Battesti poursuivi pour une petite affaire d’ordre politique. Il le retrouvera plus tard devant la Cour de sûreté de l’État où il comparait, seul, pour répondre de ses activités au sein du FLNC (il avait tenu une conférence de presse à visage découvert). Mais, durant cette période, c’est « la guerre » avec “l’État français” et certains nationalistes pratiquent une « défense de rupture ». Léo Battesti refusera de s’exprimer et Sollacaro ne plaidera pas. Plus tard, en prison, lorsqu’il leur rendra visite, Antoine Sollacaro rencontrera la plupart des leaders nationalistes, dont Alain Orsoni qu’il a connu à la CSC. Il l’accompagnera tout au long de ses ennuis judiciaires passés ou récents en devenant également l’avocat de l’ACA. Dans les années quatre-vingt-dix, Sollacaro rejoindra même le MPA crée par Alain Orsoni après les diverses scissions entre nationalistes. Auparavant, l’avocat s ‘était « essayé », sans succès, à la politique, dans sa région d’origine, derrière son oncle Émile Mocchi, alors maire de Propriano. « Mon père a toujours été attiré par la politique, mais il y avait renoncé » expliquera, après sa mort, son fils Paul. « Sur la situation actuelle, il remarquait un changement dans le bon sens, mais il était un grand déçu de la première époque du nationalisme » (in Corse-Matin). Parce que, s’il était un homme engagé, il restait avant tout un avocat. C’est dans ce cadre qu’il est devenu le défenseur non seulement de certains nationalistes, mais encore de beaucoup de figures du banditisme corse, dont Francis Mariani. En défendant également ceux qui étaient passés d’un univers à un autre, tel Gilbert Casanova, lui aussi un ancien du MPA, qui s’est retrouvé « accroché » dans une histoire rocambolesque de trafic de haschich. Un personnage attachant mais fantasque dont la défense lui posait bien des problèmes (il en riait), mais qu’il continuait à soutenir. Comme il a soutenu, plus tard, Antoine Nivaggioni, lui aussi, un ancien du MPA compromis dans l’affaire de la SMS avant d’être abattu.
En 1998, lorsqu’Antoine Sollacaro est devenu bâtonnier, alors que l’on était en pleine dérive judiciaire dans l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac et que le préfet Bonnet voulait mettre la Corse en coupe réglée, l’avocat avait à nouveau fait parler de lui. Lors de la séance de rentrée solennelle au tribunal d’Ajaccio, en janvier 1999, au lieu de tenir le discours entendu auquel on est habitué dans ce genre de circonstances, il était rentré dans les plumes du préfet. Ce qui avait provoqué son départ et un grand retentissement médiatique. Sollacaro avait fait du Sollacaro. D’ailleurs, lorsque Bonnet a été incarcéré après le lamentable épisode des paillotes, une histoire circulait en Corse : « Bonnet a appelé le directeur de la prison. Il a exigé qu’on recouvre le sol de sa cellule de moquette ou de parquet. Il a dit qu’il en avait marre du sol à carreau »…
Plus tard, lorsque, au cours du deuxième procès d’Yvan Colonna, en 2009, il avait qualifié la Cour d’assises spéciale de Paris de « junte birmane ». « Vous devriez partir, vous êtes indigne de présider » avait-il lancé au Président Wacogne qui, effectivement, s’était retiré. Comme, plus tard, tous les avocats de Colonna qui avaient refusé de plaider.
Dans cette affaire, Sollacaro n’avait jamais baissé la garde. Jusqu’au bout il a affirmé qu’Yvan Colonna était innocent, allant jusqu’à prétendre que la lettre à ses complices qui, lors du dernier procès, avait été trouvée dans la cellule d’Yvan Colonna, « était un faux », alors que certains de ces confrères, plus réalistes, avaient admis qu’elle avait bien été rédigée par l’accusé. Mais Sollacaro restait optimiste puisqu’il avait affirmé à des journalistes, quelques jours avant le verdict, que « Colonna allait être acquitté ». Ce qui, comme on le sait, n’a pas été le cas.
Mais, avec les gens à qui il faisait confiance, Sollacaro gardait une certaine distance avec ses dossiers et sa propre ligne de défense. Il atténuait ses affirmations les plus « grosses » avec un sourire sur le thème, « je te le dis mais je ne le pense pas vraiment ». Comme il ne cachait pas, dans ses dossiers, les pièces les plus accusatrices pour certains de ses clients. C’était une qualité appréciable.
Dans le privé, ses amis en témoignent, Antoine Sollacaro restait un homme relativement réservé. Parfois, il parlait si peu que ses proches le lui reprochaient. Un jour qu’ils s’en inquiétaient, il leur a répondu : « Moi, on me paye, pour que je parle, alors… ». Pour le reste, c’était un homme très « famille » qui préférait souvent lire que sortir. Il avait également le goût des voyages et des musées. Une passion peu originale pour cet avocat qui, lui, l’était et en est peut-être mort.
Corsica Infurmazione, L’information Corse
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