Voici l’intervention du Député Paul Giacobbi prononcée le 16 octobre lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2013.
Monsieur le président, mes chers collègues, au terme d’une journée éprouvante pour votre serviteur, au cours de laquelle il a tout entendu, je voudrais saisir cette occasion pour appeler votre attention sur la Corse, non pas comme je le fais devant vous depuis dix ans, et encore il y a deux semaines, sur la nécessité de lutter contre la criminalité dans notre île – et j’espère, à cette occasion, qu’à quelque chose malheur étant bon, on finira par entendre ce que je dis – mais sur la question complexe, symbolique et exaspérante de la reconstitution des titres de propriété, du règlement de l’indivision immobilière et de la fiscalité des successions dans notre île.
Vous le savez peut-être, en tout cas les plus informés d’entre-vous, l’affaire remonte à 1797, donc à la fin du XVIIIe siècle, date à laquelle l’État, constatant les difficultés inextricables de la propriété foncière en Corse, avait décidé de ne pas taxer les biens immobiliers en Corse et, surtout, de ne pas rendre obligatoire en pratique la déclaration de succession pour ces biens. Ce que le fait de ne pas être obligé d’organiser une succession devant un notaire, donc de ne pas payer les droits afférents, pourrait être considéré comme un avantage n’a fait que rendre plus difficile, génération après génération, la situation foncière en Corse.
Pour sortir de cette situation, la loi du 22 janvier 2002 a prévu que les successions ouvertes seraient totalement exonérées jusqu’au 31 décembre de cette année, puis que les droits seraient, d’abord, dus sur la moitié de la valeur des biens jusqu’au 31 décembre 2017 et en totalité au-delà. Il avait été annoncé qu’entre-temps, on accomplirait les efforts nécessaires pour titrer les propriétés et nous ramener, de ce point de vue également, à la normalité, mot à la mode ! Nous l’attendons pour cette raison et pour d’autres encore, depuis deux siècles ! Or il a fallu attendre la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités pour que soit autorisée la création d’un groupement d’intérêt public associant l’État, la collectivité territoriale de Corse, les associations des maires départementales ainsi que le conseil régional des notaires, afin de rassembler tous les éléments propres à reconstituer les titres de propriété des biens immobiliers en Corse lorsqu’ils en sont dépourvus.
En réalité, ce groupement, dit GIRTEC, créé en 2008, n’a commencé à travailler qu’à compter du printemps 2009 et n’a pu que progresser lentement, même s’il le fait efficacement, tant il est vrai que près de la moitié du territoire de la Corse se trouve en indivision ou sans titre de propriété, ce qui est une cause de troubles considérables. Dès lors, la logique de la loi de 2002 qui consistait fort justement à faire aller de pair le retour aux droits successoraux normaux pour la Corse, la sortie des situations d’indivision et le titrage des propriétés, se trouve contredite parce qu’il est évident que l’on va imposer des règles civiles et fiscales à une situation qui n’est pas résolue, entraînant de très grandes injustices, des taxations, par exemple, qui se feront sur la base de la valeur présente pour des successions vieilles parfois d’un siècle, ce qui est d’ailleurs parfaitement anormal.
L’Assemblée de Corse, agissant dans le cadre de la loi et, en particulier, de l’article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales, lequel lui permet de faire des propositions de nature législative, a suggéré, par délibération du 30 juin 2011, d’adapter le dispositif pour permettre de regrouper le retour à la taxation normale et le titrage des propriétés ainsi que la sortie des indivisions. L’Assemblée de Corse avait proposé d’attribuer à la collectivité territoriale la compétence pour fixer les règles de taxation à compter du 1er janvier 2013. Le précédent gouvernement avait soumis ces propositions au Conseil d’État qui aurait fait des objections sur la constitutionnalité du dispositif.
Je dis « aurait fait » puisque, à ce jour, le Premier ministre n’a ni daigné répondre ni même communiquer la teneur des objections du Conseil d’État que nous connaissons d’ailleurs parfaitement, mais officieusement. Dans sa séance du 5 juillet 2012, l’Assemblée de Corse a réitéré ses propositions et formulé le vœu qu’on lui réponde, enfin, dans les formes prescrites par la loi, ce qui n’est tout de même pas excessif, mais qui n’a pas été fait à ce jour en dépit des relances répétées.
Il ne s’agit nullement, dans cette affaire, de vouloir maintenir un avantage fiscal pour la Corse, mais de constater qu’il n’est ni juste ni équitable de ramener notre île au droit commun de la taxation des successions immobilières, alors même que nous sommes très loin de la remise en ordre à laquelle la loi s’était engagée. Cette affaire paraît anecdotique comme le serait une survivance de l’histoire, mais, si l’on n’y prend pas garde, elle créera inutilement, et sans véritable intérêt budgétaire pour la nation, un cortège d’injustices, de contentieux et d’incompréhensions.
Sur le plan plus politique, la Corse ne comprend pas la raison pour laquelle le transfert d’une fiscalité sur les successions immobilières, qui ne rapporte aujourd’hui pratiquement pas un sou à l’État, poserait un problème d’équilibre du budget. Elle ne comprend pas d’ailleurs non plus pourquoi il serait légitime de faire payer des successions aux Corses remontant à des décennies sur la base des valeurs foncières actuelles, mettant ainsi à leur charge deux siècles d’une incurie administrative de l’État dans ce domaine en Corse. J’ajoute qu’au moment où la Corse se voit demander d’émettre un avis et de faire des propositions dans le cadre de la nouvelle phase de la décentralisation, il serait particulièrement malvenu de la traiter de manière aussi injuste en même temps que l’on ne tiendrait aucun compte des règles de procédures qui lui permettent de faire des propositions législatives en vigueur depuis une décennie.
Enfin, il conviendrait plutôt d’agir, ici, comme lors de l’examen du projet de loi relatif au plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, examen au cours duquel l’Assemblée nationale et le Sénat unanimes ont suivi pratiquement à la lettre les propositions extrêmement novatrices de l’Assemblée de Corse, elle aussi unanime, nous donnant ainsi un outil de planification de l’urbanisme rigoureux et opérationnel dont nous menons l’élaboration dans un climat de consensus en dépit d’une orientation générale qui va très clairement dans le sens du renforcement des dispositions nationales visant à la protection du littoral et, plus généralement, de la nature et de l’environnement mettant fin à une longue période de dissensions et de polémiques, permettant aussi une meilleure sécurité juridique tout en préservant les objectifs des développement durable de notre île. C’est la raison pour laquelle je demande solennellement au Gouvernement et au ministre, lorsqu’il voudra bien m’écouter, ce qu’il ne fait pas encore, mais qu’il fera certainement incessamment…
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Mais j’ai entendu, monsieur le député ! J’ai entendu un plaidoyer pour cette noble cause !
M. Paul Giacobbi. Je n’en doute pas un instant, monsieur le ministre ! Je demande donc solennellement au Gouvernement d’appliquer rigoureusement la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse et, en particulier, les dispositions qui lui enjoignent de répondre en temps utiles, même par la négative, aux propositions d’adaptation législative formulées par l’Assemblée de Corse et, au moins, d’entamer sur ce point un dialogue aussi fructueux et efficace que celui qui a permis précédemment l’adoption de la loi sur le PADDUC. Dans cette attente, et pour éviter que le couperet tombe au 31 décembre de cette année, je lui demande d’accueillir favorablement l’amendement que je présente, quitte à le modifier et à le faire sien ; personne n’ayant de vanité d’auteur l’amenant à souffrir d’une modification même substantielle. En tout état de cause, je défendrai cet amendement qui, à ma grande surprise d’ailleurs, a été déclaré recevable par la commission des finances ! Mais, à l’évidence, il vaudrait infiniment mieux que le Gouvernement prenne une position raisonnable et déterminée sur ce point, réponde aux attentes et formule devant cette assemblée ses propositions de solution. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)
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