Entretien avec Jean-Guy TALAMONI / Président du groupe indépendantiste Corsica Libera à l’Assemblée de Corse. La 31e édition des Journées internationales de Corti, organisée ce week-end par le parti indépendantiste corse Corsica Libera et à laquelle participe le parti Batasuna, promet d’être historique.
Un débat sur l’évolution institutionnelle de la Corse réunira, en effet, pour la première fois, dimanche, tous les courants politiques de l’île. Une première qui montre que les positions dans le panorama politique évoluent. Une opportunité historique pour le mouvement indépendantiste qui rêve, à l’occasion de la réforme territoriale à venir, d’élargir les compétences de la Collectivité territoriale de Corse (CTC), statut particulier en place sur l’île depuis 1991. Entretien avec Jean-Guy Talamoni, président du groupe Corsica Libera à l’Assemblée de Corse.
Le débat sur l’évolution institutionnelle de la Corse s’intensifie. Quelle est la situation aujourd’hui ?
Nous avons, en effet, réussi à porter ce débat à l’Assemblée de Corse dans de bonnes conditions. Aujourd’hui, il semblerait qu’il y ait une majorité à l’Assemblée de Corse prête à lancer une réforme audacieuse, une évolution institutionnelle conséquente qui permette de répondre aux besoins de la Corse d’aujourd’hui.
Quels sont les problèmes de la Corse que le mouvement indépendantiste met en avant ?
La disparition programmée de notre langue et une situation immobilière qu’il convient de juguler au plus vite sont les deux fléaux de la Corse. Nous avons aussi d’autres problèmes à régler, mais sur ces deux questions, il y a véritablement une urgence pour la survie du peuple corse sur sa terre.
L’utilisation de la langue corse continue à décliner malgré la prise de conscience. En matière de foncier, l’augmentation des prix est telle, sous la pression de la demande étrangère, que les Corses ne peuvent plus trouver le moyen d’acheter des maisons ou des terrains. A titre d’exemple, selon la note de conjoncture des notaires de France, il y a eu 25 % d’augmentation des prix dans la moitié nord de la Corse en un an, de décembre 2010 à décembre 2011. C’est un véritable tsunami et, bien entendu, cette augmentation avait commencé bien avant et s’est poursuivie cette année. Nous sommes dans un système qui, mécaniquement, jette les Corses en dehors de leur île puisqu’ils ne peuvent plus se loger.
De l’exécutif socialiste de l’Assemblée de Corse au nouveau député UMP de la Corse-du-Sud, Laurent Marcangeli : tous les courants politiques seront présents, dimanche, à Corti. Comment interprétez-vous cet engouement ?
C’est un événement politique très important qui a étonné au-delà même de la Corse. Une reconnaissance du travail que nous avons effectué, de la justesse de nos positions depuis plusieurs décennies. C’est la première fois en 31 ans que nous avons la visite, à l’occasion des Journées de Corti, de la totalité de la classe politique insulaire. C’est vrai qu’il a fallu en arriver à une situation catastrophique pour que les autres courants politiques commencent à s’en rendre compte, mais il n’est pas trop tard pour essayer de chercher les solutions. Maintenant, la solution doit être mise en œuvre non pas dans les années qui viennent, mais dans les mois qui arrivent.
Vous évoquez une situation urgente. Pour quelles raisons ?
Sans faire de catastrophisme, cette réforme sera sans doute la dernière occasion que nous aurons de sauver la place de notre communauté nationale sur ses terres. Nous avons échoué il y a dix ans : à cause de l’éviction de Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle en 2002, le processus de Matignon [discussions, de 1998 à 2001, avec le Premier ministre socialiste pour l’élaboration d’un nouveau statut pour la Corse, ndlr] a été interrompu. Je n’ose pas imaginer ce qu’il se passerait si nous perdions à nouveau dix ans. Ce que serait la Corse dans dix ans. C’est maintenant ou jamais.
Dans le cadre de la réforme territoriale, le gouvernement français a répété le besoin de dégager des consensus politiques au niveau local. Peut-on envisager un projet unique pour la Corse ?
Il y a déjà eu des votes à l’Assemblée sur des sujets très importants. Nous avons eu un débat, il y a quelques jours, sur le Padduc [le Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, ndlr] et les orientations qui ont été retenues de façon unanime – abstention des élus de droite – sont exactement celles que nous préconisions dans notre projet politique depuis fort longtemps.
Une motion déposée par Corsica Libera pour la co-officialité de la langue corse avec le français a été votée au printemps dernier par 36 élus sur 51. Nous avons également suscité un vote sur la question foncière et, là aussi, nous avons trouvé une majorité comparable, 35 voix sur 51.
Si les choses continuent de cette manière, on pourra arriver à une très forte majorité à l’Assemblée de Corse sur un projet global. Une majorité massive pour s’adresser à Paris et présenter le projet comme quelque chose de cohérent, de global et qui ne peut pas être retouché. Le projet qui va sortir de l’Assemblée de Corse n’est pas une base de négociation avec Paris. Nous allons placer la barre exactement où elle doit être. Ni plus haut que ce dont nous avons besoin, ni plus bas. Nous n’allons pas engager une négociation qui va conduire à une réformette. Nous avons besoin d’un certain nombre de dispositifs pour sauver le peuple corse sur sa terre.
La question des prisonniers corses va-t-elle de pair avec la situation politique ?
La question des prisonniers n’est pas un préalable à la discussion. En revanche, notre position est très claire : il ne peut y avoir de solution qui ne prendrait pas en compte la question des prisonniers. C’est une position ancienne élaborée avec les prisonniers que nous avons déjà défendue lors du processus de Matignon.
S’il n’y a pas de prise en compte des prisonniers au moment où la solution va se dessiner, nous ne la validerons pas. C’est clair, net et tout à fait précis.
Dans la perspective des prochaines élections municipales et territoriales, le mouvement indépendantiste doit-il construire un pôle souverainiste avec les autonomistes ?
La question de savoir si aller ensemble aux élections est porteur ou pas se pose aussi bien au sein du courant autonomiste que du courant indépendantiste.
Manifestement, cela dépend des circonstances, de la manière dont cela est fait. Il n’y a pas de recette miracle, on s’en rend compte. Lorsque nous avons entrepris ce genre d’union avec les autonomistes, parfois cela a été positif, comme en 1992. Par contre, en 2004, une démarche de même nature, l’Unione Naziunale, a donné des résultats très décevants.
Pour les élections municipales [en mars 2014, ndlr], il faudra provoquer des alliances très larges avec les autonomistes. C’est le cadre où l’union doit se faire assez généreusement. Surtout dans les petites communes, où d’ailleurs, parfois, il y a des unions qui dépassent le courant nationaliste depuis très longtemps.
S’agissant des élections territoriales qui ne vont pas venir avant 2015, voire 2016, la question doit se poser, mais nous n’en sommes pas à ce stade de réflexion aujourd’hui.
Sur les grandes orientations à mettre en œuvre pour la Corse, les nationalistes doivent parler d’une seule voix, c’est-à-dire dans la cohérence. Nous sommes pour un projet commun sur ce qui nous rapproche – la langue, le foncier – où les autonomistes nous ont rejoints aujourd’hui sur nos propositions.
Cela ne veut pas dire que cela doit se traduire mécaniquement par des listes communes aux élections territoriales. Ce n’est pas évident, il peut très bien y avoir, comme d’ailleurs dans tous les pays, des élections avec des listes différentes et puis ensuite, pourquoi pas, si le mouvement national sort très renforcé des prochaines élections territoriales, gouverner ensemble la Collectivité territoriale corse. Cela est possible, peut-être même gouverner avec d’autres. Pourquoi pas, nous ne sommes pas à la veille de ces élections.
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