Depuis lundi, les sept magistrats de la cour d’assises spéciale de Paris construisent un tableau qui se met en place par petites touches. En toile de fond, quinze attentats commis en 2007 et 2008, dont les deux mitraillages du palais de justice d’Ajaccio, la roquette contre la caserne de CRS d’Aspretto et un jet de grenade dans l’enceinte de la préfecture de Corse.
Au cœur, dix-huit accusés, dont huit comparaissent détenus. La grande majorité d’entre eux était âgée d’une vingtaine d’années au moment des faits, ce qui leur avait valu le sobriquet dans la presse de « canal gamin ».
Après quatre ans de détention provisoire ou de contrôles judiciaires, ils sont désormais des hommes. « Le paradoxe est que d’un côté, ce sont des pieds nickelés, mais de l’autre, les actes commis sont très graves », a souligné hier un défenseur. Quel lien entretenaient-ils avec le FLNC-Union des combattants né le 23 décembre 1999 de la fusion du canal historique, de Fronte Ribellu et du 5-Mai ? Est-ce toute une cellule qui était démantelée, des commanditaires aux exécutants en passant par les complices, ou seulement quelques-uns de ses membres ? Telles sont les interrogations qui pèsent sur les débats présidés par Régis de Jorna. « Certains ont assumé leurs responsabilités et leur appartenance au FLNC, mais pas tous », a concédé Me Eric Barbolosi à l’issue des débats. Hier, les personnalités de Charly Pieri et Michel Romeo étaient exposées. Il faudra attendre l’examen des faits qui débute dès lundi pour savoir quels sont ceux qui maintiennent leurs déclarations.
Dangerosité
L’accusation, menée par Anne Obez-Vosgien et Olivier Bray, ne se pose pas autant de questions. Raisonnant plus simplement, les avocats généraux estiment au vu de la« dangerosité des accusés ayant reconnu »qu’il y a d’un côté de jeunes exécutants, sans véritable idéologie, aimant l’action, et de l’autre des commanditaires, plus âgés. Tout au long de ces cinq premières journées, de nombreuses particularités ont pourtant commencé à briser cette vision monolithique du dossier.
On l’aura compris, le procès du canal gamin en 2012 n’est pas celui des 21 du FLNC en 1979 où la cour était devenue une tribune pour le Front. Seul un accusé, Mathieu Filidori avait alors pris la parole au nom du groupe. La défense, en rupture totale, voulait faire entendre l’idéologie nationaliste et annonçait le « procès d’un peuple ».Tout en dressant celui de l’État français « colonial ». Trente-trois ans plus tard, la donne a donc changé.
Dans un récent communiqué reçu à deux jours de l’ouverture du procès, le mouvement clandestin n’a pas eu un seul mot pour ces militants. À part l’associu Sulidarità et Corsica Libera, peu de voix se font entendre.
Un procès politique sans rupture ?
On soutient et on défend comme par réflexe. « Ce sont les nôtres », glisse un indépendantiste. Dans la grande salle où fut jugé Yvan Colonna l’an dernier, les bancs sont souvent clairsemés. Et dans les jours qui suivent, un fossé pourrait d’ailleurs se creuser entre la défense des accusés et à l’extérieur, celle, plus engagée, à laquelle aspirent certains nationalistes dans un but politique.
« C’est un procès politique complexe, mais il y aura une défense au cas par cas, puisqu’il y a un panel de situations différentes », annonce Me Eric Barbolosi qui veut éviter les « visions manichéennes. »Selon Me Pascal Garbarini, les magistrats semblent « attentifs à l’engagement de chacun et à l’évolution des personnalités. »L’un de ses clients, Paul Istria, est présenté avec Patrick Tesi et Christophe Giannesini comme les « chefs de groupe ». Pour l’homme en noir, les apparences sont trompeuses. « Paul Istria est un vieux militant qui était le permanent du local mais aujourd’hui, il nie avoir commandité un attentat : il pense même que la violence n’est pas de mise », expose l’avocat. « Ce ne sont plus les mêmes hommes, ils ont été broyés par cette affaire pour la plupart », ajoute-t-il.
Ce lundi, le commissaire de l’antiterrorisme Leseigle parlera à la barre de sa vision de l’histoire du nationalisme. Mais aussi du contexte de cette affaire que les policiers avaient surnommé « L’Orée du bois », du nom du quartier ajaccien où se trouvait la cache d’armes. La justice a encore quatre semaines pour s’avancer dans la forêt de la clandestinité.
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