Un nationaliste corse pour un nationaliste français? L’équation n’est pas si simple, même si bon nombre de militants et de sympathisants ont pu porter leur choix sur la candidate de l’extrême droite.
Il s’en est fallu de peu, pendant son meeting ajaccien, qu’elle sonne la charge contre la fabrication du figatelli halal, tant Marine Le Pen a fait les yeux doux au nationalisme corse. Dans la salle du palais des congrès, les 700 personnes venues l’acclamer le 17 mars dernier ont presque tiqué à son discours aux relents régionalistes. Chantant mollement le Salve Regina, après avoir hurlé les couplets de La Marseillaise. La candidate du Front National ne s’adressait pas là directement à son électorat, maisplus généralement « aux Corses qui se battent pour leur identité ». Bref, aux nationalistes. Des propos impensables pour le jacobin Jean-Marie Le Pen qui fut persona non grata dans l’île depuis 1992.
Mais ce dimanche, un électeur corse sur quatre a voté pour sa fille (près de 40 000 voix), quand en 2010, un sur trois glissait un bulletin nationaliste dans l’urne territoriale. Si la droite (même en reculant) a compté ses voix, de même que la gauche, la soustraction est simple : les électeurs nationalistes ont voté FN à côté des partisans de Le Pen. Ce simple copier-coller peut-il tout expliquer?
L’immigration, sujet tabou en Corse?
La proximité avec le FN n’a pas choqué ce militant historique de Corsica Libera, qui, le soir du meeting de Marine Le Pen, à Ajaccio a relevé qu’elle pointait « les problèmes de l’immigration auxquels l’île était confrontée ». Soulevant que plus de « 30 000 immigrés étaient comptabilisés »et qu’ils allaient apporter les mêmes« problématiques que dans les banlieues sur le Continent ». Des opinions similaires dans les rangs de la famille nationaliste se font entendre, même si elles restent marginales et bannies des discours officiels.
Le Front National, qui totalise 6 615 voix dans la sociale-démocrate Ajaccio, arrive en tête dans 22 bureaux, principalement situés aux Cannes, Salines, Padule, Pietralba. Autrement dit dans des quartiers où la rénovation urbaine est loin d’être acquise et où la population est principalement au chômage et issue de l’immigration. À Bastia, bastion du PRG, 3651 bulletins sont en faveur de Marine Le Pen, principalement dans le même type de quartier. Il y a deux ans, ceux-ci se prononçaient plutôt pour le nationalisme.
C’est encore dans ces zones urbaines où l’on note des actes de délinquance, principalement liés au trafic de stupéfiants. « Les jeunes issus de l’immigration ont une part active dans les stups », commentait un policier politiquement incorrect. « Mais ils travaillent pour les voyous corses », corrigeait un autre fonctionnaire.
Sauf que dans une part de l’opinion, (même si l’actualité des faits divers ne le démontre pas), la frange de la population immigrée issue de la troisième génération est assimilée à l’économie souterraine de la drogue. Un poncif devenu cause de l’intolérance.
Dans la cité impériale, on se souvient aussi que le double attentat des Cannes, un soir de février 2011 avait visé deux établissements appartenant à des Maghrébins situés au rez-de-chaussée d’immeubles.
Récemment, un incendie criminel a visé une mosquée dans le quartier Sainte-Lucie. De source policière, on pointe des « actes racistes ». Dans certaines rues ajacciennes, on parle de « ghetto ». S’agit-il des symptômes d’une montée du racisme?
C’est pas moi c’est Sarkozy?
Ce discours semble peu relayé par la classe politique traditionnelle qui ne se saisit pas de cette thématique taboue. Il est le fonds de commerce du Front National qui n’a pas de représentant charismatique en Corse.
Les indépendantistes, quant à eux refusent cette filiation. « On n’a donné aucune consigne de vote, ce n’est pas notre élection, même si nous attendons celui qui sera l’interlocuteur de l’assemblée de Corse », atteste Jean-Guy Talamoni.
Le chef de file de Corsica Libera refuse l’amalgame : « Les électeurs du Front National viennent de tous horizons, mais surtout de droite : la responsabilité de ce vote incombe à Nicolas Sarkozy qui l’a dédiabolisé en chassant sur son terrain. »
En clair, ce sont selon lui des « électeurs de droite », selon un système de « vase communiquant » qui ont glissé un bulletin bleu Marine. « J’ai participé aux manifestations qui ont empêché Jean-Marie Le Pen d’atterrir en Corse, mais aujourd’hui, il faudrait le faire pour les représentants UMP qui tiennent le même discours que le FN », poursuit le conseiller territorial. « Nous condamnons les attentats racistes et nous réclamons des valeurs paolistes qui prônent l’ouverture et la tolérance religieuse, à l’inverse de celles de Mme Le Pen, complète Jean-Guy Talamoni,estimant en tant qu’indépendantiste, que la Corse doit contrôler ses flux migratoires, comme la Catalogne ».
Lascia corre électoral ?
Si les indépendantistes avaient tourné les talons, les modérés avaient adressé une lettre aux dix candidats pendant la campagne. Seule Eva Joly, soutenue par François Alfonsi, y avait répondu.
Du coup, les locaux se faisaient rares dans les meetings. Edmond Simeoni et Jean-Christophe Angelini ont bien rencontré François Bayrou à Ajaccio. Mais aucune consigne de vote n’avait été délivrée, aucun cadrage effectué. Ce lascia corre électoral est-il responsable de cette poussée ? Jean-Christophe Angelini ne souscrit pas à cette analyse « trop mécanique ».
« Si on ne peut nier que des nationalistes aient voté FN, il faut rappeler que c’est d’abord Sarkozy qui est en recul et que le vote du premier tour est essentiellement un défouloir ou un rejet du système », analyse le conseiller général de Porto-Vecchio. Au plan local un candidat FN fait autour de 5 %. Au plan national, cinq fois plus.« C’est un paradoxe, mais il est ponctuel, après les présidentielles, cela retombe, ce n’est pas un vote qui inquiète : il y a autant de racistes en Corse, sinon moins qu’ailleurs », relativise l’élu territorial PNC qui voit dans ce 22-Avril insulaire un «vote antisystème ».
« Un vrai cliché ! »
Reste l’analyse des chiffres. Selon Jérôme Paoli, le directeur d’Opinion of Corsica, l’équivalence des électeurs FN-nationalistes est « un vrai cliché ». Comme les autres sondeurs, il avait bien prévu que Marine Le Pen serait le troisième homme. Comme les autres, il l’avait sous-estimée en la gratifiant de 13 %. Quatre raisons à ce score. « Ce n’est pas encore un vote assumé, les gens n’affirment pas », argumente-t-il. Deuxièmement, le coefficient de rectificatif n’a pas pu être appliqué. « Les courbes d’expérience permettent de réévaluer les déclarations des sondés qui mentent avec un taux correctif, mais pour Marine Le Pen, il faudra encore deux ou trois élections pour l’établir », affirme Jérôme Paoli. Et puis, à ce résultat élevé, il faut également ajouter la participation en hausse (hors 2007, qui était un cru exceptionnel avec 83 % de participation nationale). Opinion of Corsica prépare actuellement une enquête pour savoir qui sont ces Corses qui ont voté Le Pen. Dans ses estimations réalisées avant le premier tour, 23 % sont nationalistes, 28 % proviennent du réservoir de Nicolas Sarkozy, 21 %, de celui de François Hollande. Mais selon Jérôme Paoli, une chose est sûre : ce vote « dépasse les clivages ».
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