L’élu territorial nationaliste, membre de la commission de la violence à l’Assemblée de Corse en explique les rouages et le fonctionnement. Il exprime, également, son sentiment sur ce fléau qui sévit dans l’île et les manières de l’endiguer.
Vous êtes membre de la commission violence à l’assemblée de Corse. Quelles sont les composantes de cette commission ? Comment fonctionne t-elle ?
Permettez-moi tout d’abord, alors que notre île connaît chaque semaine de nouveaux drames, de vous dire ma profonde inquiétude face à la situation, en même temps que ma confiance dans les travaux de notre Assemblée, et plus particulièrement dans ceux de la commission violence. Nous ne pourrons naturellement pas tout régler. Chacun sait que l’essentiel des moyens à mettre en oeuvre relève du domaine régalien de l’Etat (police, justice…). Mais pour autant, pouvons nous attendre les bras croisés que l’Etat daigne enfin agir efficacement, à la lumière des dernières décennies et du taux d’élucidation dramatiquement faible de plusieurs dizaines (centaines ?) d’affaires criminelles ? Je ne le crois pas. Et je pense même que les Corses attendent de nous, tout en mesurant les limites et les difficultés de l’exercice, que nous nous emparions résolument de ce problème fondamental. La commission est composée de l’ensemble des présidents de groupes de l’Assemblée, ou de leurs représentants, et est présidée par Dominique Bucchini. Elle s’est déjà réunie à cinq reprises, depuis le débat organisé dans l’hémicycle et a entendu plusieurs personnalités (universitaires, élus, société civile…) concernées par l’analyse, la prévention voire la répression du phénomène. Elle fonctionne donc de façon ouverte, permettant à la fois le débat entre élus de sensibilités différentes et la consultation d’experts. Je pense que nous serons bientôt en mesure de proposer des orientations concrètes à l’Assemblée de Corse.
Quel est, en tant que membre d’un groupe nationaliste, votre sentiment sur la récente revendication du FLNC ?
Le PNC tout comme Femu a Corsica ont en l’espèce des positions constantes et connues de tous. Notre combat est exclusivement public et démocratique. Nous rejetons clairement, et définitivement, toute action qui ne serait pas fondée sur le respect intangible de la vie humaine et le refus de l’affrontement entre Corses. Nous appliquons ces mêmes valeurs, cette même analyse, au demeurant fondatrices de notre démarche, à toute action ou communication, et notamment à celle que vous citez.
Ne s’achemine t-on pas vers une lutte entre mafia d’un côté et clandestins de l’autre ?
Le risque pourrait exister, mais je ne dispose d’aucun élément me permettant de confirmer cette analyse. En toute hypothèse, j’estime que cette lutte serait dramatique pour l’ensemble des Corses, et qu’elle finirait de nous plonger dans une situation déjà redoutablement complexe et inquiétante. J’espère donc qu’il n’en sera jamais question.
Comment comptez-vous œuvrer pour endiguer ce fléau qui en arrive, aujourd’hui, à des points extrêmes ?
Nos compétences sont limitées mais le pari est indispensable. Il est double : D’une part, travailler sur les causes réelles, les racines de la violence. Celles-ci appellent des réponses avant tout politiques, notamment au plan économique et financier. La spéculation foncière et immobilière, le sous-développement chronique, la généralisation des dépendances (alcool, drogues, …), les carences en terme d’emploi et de formation génèrent, à des degrés très divers, des situations d’instabilité et de conflit qui se transforment parfois en affrontements violents. Il nous faut traiter les raisons profondes, sans incantation ni démagogie, et construire un projet de société fondé sur des valeurs et objectifs totalement nouveaux. D’autre part, en plus d’agir par nous-mêmes, dans la durée, nous devons identifier très clairement les différents niveaux de responsabilités, et conduire l’ensemble des acteurs de la problématique (Etat, collectivités locales, monde associatif, société civile,…) à s’en emparer de façon plus coordonnée et plus active.
On dit qu’en Corse, la violence et plus généralement le culte des armes, puisent leur source dans le passé lointain et notamment les vindette de jadis. Sommes-nous dans cette logique ?
Notre histoire est certes très particulière, concernant la violence, comme elle l’est d’ailleurs dans de nombreuses régions de Méditerranée. Mais je crois que les causes sont plutôt à rechercher dans la situation présente que dans un lointain passé, voire dans une quelconque mythologie. Convoquer l’anthropologie ou la sociologie peut s’avérer très utile, mais l’essentiel de notre réflexion doit porter, au risque d’insister, sur notre situation économique et sociale, à l’heure de la mondialisation et la crise financière, propice à bien trop de dérives.
Comment travailler en amont et amener une vraie réflexion sur ce sujet ?
C’est tout le problème. Nous avons pour habitude d’agir dans l’urgence, de négliger le travail de fond au profit d une approche « immédiatiste », soumise à la pression de l’opinion ou des medias. Nous devons à la fois traiter l’urgence, et travailler sur la distance, en repensant la plupart des termes de notre action en la matière. Surtout, nous devons privilégier l’éducation, la formation, l’accès a toutes les formes de cultures, la construction progressive d’une société où le respect de la vie ne pourrait en aucune circonstance être mis en question. C’est naturellement à l’Assemblée que revient la fonction de chef de file, de maître d’oeuvre de ces travaux. Dans le sillage de la commission violence, elle doit faire connaître dans les meilleurs délais ses propositions, ainsi qu’un calendrier et une méthode pour la suite. Parallèlement, l’Etat ne peut s’exonérer plus longtemps de son examen de conscience, et d’une analyse critique de son comportement global depuis des décennies.
L’élue Marie-Antoinette Santoni-Brunelli a récemment demandé à l’ensemble des conseillers territoriaux de “descendre dans la rue”. Son idée n’a guère été suivie. Partagez-vous, néanmoins son sentiment ?
Je partage son sentiment. Je pense également que nous devons proposer une initiative globale à la rentrée, sans nous disperser d’ici là. En outre, toute action, même si elle peut être impulsée par des élus, a vocation à impliquer le plus grand nombre, sans restrictions ni limites. Cette proposition est donc à prendre en compte, mais plus tard et de façon ouverte, dans un contexte de restitution de nos travaux.
Où, selon vous, cette violence puise t-elle sa source ?
Nous avons déjà, je crois, abordé les différentes causes possibles. Je continue de penser que la complexité et l’instabilité des rapports entre l’Etat et la Corse nourrissent un climat délétère, que l’absence de perspectives économiques et sociales crédibles renforce le malaise ambiant. En toute hypothèse, il n’y a pas de source unique mais un faisceau d’éléments qui, mis bout à bout, génèrent des situations littéralement dramatiques.
Situez-vous des responsabilités au niveau local ou même au niveau de l’Etat ?
Les responsabilités sont multiples, et l’Etat, nous l’avons vu, ne peut s’exonérer plus longtemps du fait de prendre les siennes. Nous ne demandons à personne de verser dans l’auto flagellation, ou la repentance, mais dans le même ordre d’idées, nous ne pouvons plus accepter les discours convenus et l’étalage de statistiques, qui ne suffisent plus à masquer la gravité de la situation, et l’indigence des réponses apportées jusqu’ici.
Pensez-vous, comme cela fut le cas au Pays Basque et en Irlande, que les clandestins doivent déposer les armes ?
Je souhaiterais insister sur un point. Lorsqu’on évoquait les questions de violence, il y a tout juste quelques années, on pensait principalement à la violence politique. Aujourd’hui, ce sont les violences de droit commun qui dominent très largement. Malgré l’absence d’un véritable processus de règlement politique et négocié de la question corse, nous avons donc assisté à des évolutions majeures. Je le répète, nous ne pourrons pas tout régler, d’autant que chaque société recèle en elle-même une part intrinsèque et irréductible de violence, mais c’est à nous qu’il incombe de rebâtir une culture de la vie et du respect. Concernant les clandestins, je suis naturellement très favorable à un dépôt immédiat des armes. Cette idée d’un combat exclusivement public est pour nous fondatrice. La Corse n’a pas vocation à demeurer le denier foyer de clandestinité armée en Europe. Chacun des acteurs, aujourd’hui renforcé par les processus d’Irlande et du Pays Basque, doit s’engager sans plus attendre dans cette perspective. 2012, avec son cortège d’élections et de possibles évolutions politiques, doit en consacrer l’avènement.
Interview réalisée par Joseph Albertini
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