La langue corse est en danger. Au fil des générations le nombre et la proportion des locuteurs diminue. Sa transmission intergénérationnelle est compromise, entraînant la disparition progressive de son usage comme moyen de communication.
Tardive, la prise en compte des langues régionales par l’Etat, tout en s’accélérant à partir de 1981 jusqu’à la mention, en 2008, des langues et cultures régionales dans la constitution, demeure incomplète.
Avec d’autres, j’ai la conviction que l’extinction de la langue corse n’est pas une fatalité.
En 2007, l’Assemblée de Corse a approuvé un « plan stratégique d’aménagement et de développement linguistiques pour la langue Corse », comportant un volet éducatif et un volet sociétal entendant créer dans la société corse une dynamique du bilinguisme articulée à la stratégie européenne pour le plurilinguisme. Notre groupe a voté ce plan et nous pensons qu’il faut aller encore plus loin sur le chemin conduisant à une société bilingue. Cette attitude n’est pas nouvelle. Elle puise sa source dans une tradition du mouvement ouvrier opposée à toute forme d’oppression nationale, à toute discrimination d’ordre racial ou linguistique.
Depuis les années quatre-vingts, dans le cadre d’une conception nationale et populaire de la défense du français et des autres langues de France, nous nous prononçons « pour une politique d’incitation au bilinguisme assumé », en rejetant toute contrainte ne pouvant engendrer que des phénomènes de rejet. Le « Bilinguisme » est, en Corse un état de fait qui appelle des mesures pédagogiques, sociétales et institutionnelles.
Le plan stratégique considère le bilinguisme comme un levier pour dépasser le conflit linguistique initial entrainé par la confrontation des deux langues ; la compétence bilingue est un atout pour l’ouverture au plurilinguisme, bien précieux pour les jeunes générations.
Une politique du bilinguisme ambitieuse passe par la ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires ainsi que par la modification de la constitution afin d’adopter une loi donnant aux langues de France un statut permettant leur épanouissement.
Dès 1985, dans la perspective d’une « politique démocratique de la langue » nous popularisions la revendication de la co-officialité du corse et du français. D’une certaine manière, dans les faits – l’état civil, la toponymie, les médias, la publication d’actes des collectivités, le domaine scolaire – ce processus est en marche. Il est nécessaire d’intervenir pour donner au corse sa pleine vitalité dans la société, de sorte que la population en ait une perception positive, y voit une langue utile pour le futur.
Ce statut, permettant l’usage du Corse dans l’espace public – services administratifs, organes délibérants, justice – serait le cadre juridique d’une politique de bilinguisme.
Il ne menacerait ni l’unité de la République, ni l’avenir de la langue française !
La politique en faveur du bilinguisme ne doit pas être le vecteur d’un multiculturalisme aboutissant à fragmenter la France en communautés séparées et au délitement de l’Etat. Le bilinguisme s’inscrit dans un projet social d’ouverture ; Il est corrélé à la décentralisation, au développement local, à la démocratie de proximité, qui ne sont en rien attentatoires aux principes de souveraineté et d’égalité. Bien sûr, l’établissement de la co-officialité modifiera nécessairement notre représentation du rapport entre l’Etat et la langue ; mais dans un sens démocratique, rapprochant les citoyens et l’idée de République, à l’opposé d’un centralisme autoritaire. L’exception culturelle que la France revendique ne peut évidemment pas être réservée à la seule langue dominante. La République peut assurer l’égalité dans le respect des différences. Ce principe s’appliquera évidemment à l’égard des habitants d’origine extérieure dont il faut respecter la liberté et provoquer l’adhésion volontaire. Les non corsophones ne devront subir aucune discrimination, notamment dans le travail. Nous refuserons toujours toute mesure chauvine visant à diviser les travailleurs, surtout à l’heure où ils sont en butte à une véritable « guerre de classe » menée par le gouvernement et le MEDEF.
Il n’y a pas non plus de contradiction de principe entre langue régionale et langue française. La demande linguistique régionale n’est pas exclusive de la maîtrise d’une langue de communication internationale au large rayonnement ; on ne peut sérieusement envisager qu’il se trouve des parents disposés à enfermer leurs enfants dans un ghetto mono-linguiste régional. Bien ancré sur le territoire, c’est dans les instances internationales, les relations économiques, scientifiques, culturelles que le français perd des rangs. Le principe de la diversité linguistique, au nom duquel on défend l’emploi du français dans ces domaines, ne peut dès lors être refusé aux langues minoritaires.
Les Corses ont consenti de gros efforts pour acquérir la langue française à laquelle ils sont attachés. Mais les dernières générations éprouvent de la difficulté à conserver le corse et nous poussent à agir pour conserver ce bilinguisme que leurs grands-parents ont eu tant de mal à acquérir.
L’accès de la langue corse au statut de co-officialité renforçant le bilinguisme, éliminera bien des frustrations et instaurera des rapports féconds entre corse et français.
Au-delà du principe, il faut définir le champ de la co-officialité et surtout, afin que ce droit ne reste pas théorique, ses modalités pratiques. L’efficience du bilinguisme dépend aussi de l’appui de l’Etat car elle suppose des moyens et des adaptations pour les administrations concernées.
Nous ne parviendrons à réaliser une grande politique pour le bilinguisme et la co-officialité que dans la recherche prudente – mais non timorée – d’un consensus politique et social et, dans la fonction qui est la mienne, je continuerai à m’investir dans cette mission.
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