#Corse – Pierrot Poggioli: le bilan “inexistant” de l’État dans la lutte contre la mafia

UnitaInfurmazione 22 November 2012 Comments Off on #Corse – Pierrot Poggioli: le bilan “inexistant” de l’État dans la lutte contre la mafia

Corse-Matin : S’adressant aux ministres de l’Intérieur Manuel Valls et de la Justice Christiane Taubira dans une lettre ouverte, le nationaliste qui pointait il y a 20 ans la « mafioisation » de la société au sein de l’ANC, réagit.

« Madame, Monsieur, vous allez, tout comme vos prédécesseurs, sans nul doute, nous ressortir les mêmes antiennes et annonces, avec les mêmes recettes en matière de maintien de l’ordre et de lutte anticriminalité dans l’île, comme vous l’avez fait ailleurs. Puis vous repartirez en ayant rassuré les forces de police, de gendarmerie et les juges en place en leur promettant des renforts supplémentaires et une énième politique de fermeté, pointant du doigt au passage la responsabilité des Corses, notamment leur « silence coupable », sans tenir compte, et en les oubliant, des échecs et des erreurs passées en la matière, notamment depuis l’ère Bonnet. Vous occulterez au passage le fait que l’île compte déjà depuis longtemps le plus grand nombre de membres des forces de l’ordre (…). Pour autant, vos déclarations pourront-elles occulter le bilan inexistant ici depuis plusieurs années en matière de lutte anticriminalité ? (…) Depuis les années quatre-vingt, l’essentiel des efforts de la police et de la justice s’est porté sur la violence politique et les nationalistes, tandis que la pègre se développait en toute tranquillité (…). Dans un rapport officiel de 1999 sur la sécurité en Corse, un ancien préfet adjoint de police dans l’île, Antoine Guerrier de Dumast, n’évoquait-il pas clairement la volonté de l’État de créer à dessein l’amalgame entre militants nationalistes et voyous, d’entretenir la confusion entre les deux sphères ?

« Si la violence politique est tributaire de la prise en compte ou non de la question politique, demeurant posée (…), la lutte anticriminalité nécessite à l’évidence une autre approche… mais il faut toutefois, au-delà de l’accroissement des forces de police et de justice, se pencher d’abord sur leur rôle et leur bilan. Sont de notoriété publique : l’effacement de certains noms du fichier du grand banditisme, l’apparition du « secret défense », la divulgation de certains PV, les interpellations et les mises en liberté « sélectives » avec fuites plus ou moins orchestrées du contenu des interrogatoires, sur fond d’intox et de multiplication des rumeurs aux conséquences funestes, les noms jetés en pâture, les poussettes, jusqu’à l’implication de certains policiers, révélée par certains juges, dans certains dossiers criminels ou affairistes ainsi que le rôle plus ou moins occulte de certains réseaux d’influence dans certaines affaires. (…) La dérive mafieuse de la société corse repose sur la spéculation immobilière (née du développement économique, basé sur le tout tourisme…), le racket et le développement des réseaux de drogue dans l’île.

« Pourtant de récentes déclarations montrent qu’en matière de politique du tout tourisme, les institutions de l’île n’ont eu aucun rôle, la Corse la subissant de facto, alors qu’en matière de spéculation, les associations de défense du littoral et de l’environnement pointent le rôle ambigu voire complice des autorités de l’état… Quant à la drogue, absente de Corse jusqu’aux années quatre-vingt, elle y prolifère aujourd’hui, sans que les autorités ne semblent s’en émouvoir outre mesure (…). Aussi l’opinion, qui se demande quels sont réellement les moyens de lutte utilisés contre ce fléau, a-t-elle la triste impression que la seule réponse en la matière semble être la politique institutionnalisée des dealers-indics de police… Il est évident qu’au-delà de l’échec et du rôle critiquable des forces de police et de justice dans l’île, surtout ces dernières années. (…) La société corse, aujourd’hui déstructurée et en perte de valeurs et d’espoirs, elle aussi ne doit pas s’exonérer de ses responsabilités, même si elle subit plus qu’elle n’impulse le cours des choses, portant de grandes responsabilités, notamment entre-autres en matière d’éducation de sa jeunesse avec le règne de l’enfant-roi, les frasques et les dérives d’une certaine jeunesse dorée et le«lascia corre » généralisé… Trouvera-t-elle la force de refuser et dépasser le fatalisme et la résignation en affrontant les dures réalités pour se donner les moyens d’une réaction collective salutaire au nom des générations futures ? Aujourd’hui, plus aucune force politique ne semble en position de donner des recettes ou des leçons dans ce domaine.

« Même le mouvement nationaliste n’aura finalement pu que retarder le cours des choses et les enchaînements funestes d’aujourd’hui, ne bloquant que provisoirement certains mécanismes liés au pseudo-développement de l’île, qui aujourd’hui explosent, résultante de l’intrusion depuis quelques années du profit à grande échelle. La société corse et les nouvelles générations ont abandonné ces valeurs [travail, respect d’autrui, entraide, solidarité] et les limites n’existent plus pour se faire à tout prix une place au soleil. Il faut donc tous ensemble, lucidement et courageusement, se pencher sur le problème, et se donner les moyens d’une véritable autocritique par une introspection sans tabous pour de nécessaires remises en question. Mais cela ne saurait cependant en aucun cas conduire à occulter les responsabilités de l’État et à lui donner un blanc-seing en vue d’une répression tous azimuts, comme cela s’est produit avec les dérives de la période Bonnet, et tous les problèmes subis par les Corses alors. Alors Madame, Monsieur, êtes-vous, au-delà des effets de manche, prêts à aller à l’essentiel, en tentant d’abord de comprendre enfin la spécificité corse, en refusant les clichés et le racisme anti-corse ambiant, en prenant en compte son histoire et sa culture méditerranéenne (…) ses atouts et ses espoirs. Ou alors votre visite ne restera-t-elle encore qu’une énième visite et la Corse continuera-t-elle à affronter ses démons et à vivre au rythme des drames à répétition, tandis que les dérives se renforceront et que la mafia s’installera, régissant tous les rapports économiques, sociaux et politiques dans l’île ? »

http://www.corsematin.com/article/ajaccio/pierrot-poggioli-le-bilan-inexistant-de-letat-dans-la-lutte-contre-la-mafia.823742.html

Corsica Infurmazione, L’information Corse

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