“Maître Sollacaro sortait de son domicile habituel, dans son véhicule habituel, pour suivre son trajet habituel avec sa halte habituelle pour acheter son journal quotidien, là où les tueurs l’attendaient pour l’abattre.
Maître Sollacaro n’était aucunement armé, il n’était même pas armé de méfiance. Il est mort exactement comme meurt un innocent. La Corse a reçu un véritable uppercut quand elle a appris la mort tragique de Maître Antoine Sollacaro. Dans le déferlement de violence qui dévaste la société corse depuis plusieurs années, cet assassinat résonne comme un avertissement : une nouvelle limite a été franchie. Le matin même, l’exécution de Jean Dominique Allegrini-Simonetti est venue elle aussi assombrir encore davantage ce jour à marquer d’une pierre noire.
Comme toutes les victimes de cet engrenage funeste, une centaine en trois ans, ces disparitions tragiques témoignent d’une situation qui a franchi le seuil du tolérable, et d’un engrenage de haines inextinguibles contre lequel il est impératif de réagir. La personnalité de Maître Sollacaro était hors du commun. Sa réputation d’avocat – il était reconnu par ses pairs comme un des meilleurs d’entre eux – dépassait les limites du monde judiciaire insulaire. Il avait aussi une vie sociale intense à côté de sa vie professionnelle, avec une exposition médiatique importante qui l’avait rendu familier à tous les Corses.
Sa disparition brutale a choqué profondément toute la société corse. Elle a aussi réveillé ce que le continent compte de plus affligeant comme commentateurs de la question corse, avec à leur tête l’irresponsable Jean Pierre Chevènement. Derrière son propos démesuré, il y avait un intention, elle, bien calculée : suggérer que l’engagement nationaliste de Maître Sollacaro était la clef de l’énigme, que la victime n’était pas innocente, ce que la vox médiatique s’est empressée de relayer.
Pourtant les faits sont criants, qui contredisent formellement cette thèse : Maître Sollacaro sortait de son domicile habituel, dans son véhicule habituel, pour suivre son trajet habituel avec sa halte habituelle pour acheter son journal quotidien, là où les tueurs l’attendaient pour l’abattre. Maître Sollacaro n’était aucunement armé, il n’était même pas armé de méfiance. Il est mort exactement comme meurt un innocent. Combien sont-ils à avoir entendu cette mise au point que j’ai pu faire sur la trop confidentielle chaîne parlementaire ? Une infime minorité, et la majorité continue de vivre au rythme des romans policiers échafaudés par les commentateurs de l’actualité, qui répandent les préjugés les plus fantaisistes sur la Corse et les Corses, les mêmes depuis Mérimée et les romans du 19ème siècle.
À l’heure où l’île engage une étape cruciale pour son avenir, toute cette confusion fait le lit de l’immobilisme politique du côté gouvernemental. Pourtant, quand il faut faire face à une situation aussi dégradée, c’est tout le contraire qu’il faut faire. D’autant plus quand la responsabilité de la situation vous incombe : l’Etat dispose de l’exclusivité des pouvoirs régaliens, et c’est sa faillite qui s’écrit aujourd’hui en lettres de sang. Tout d’abord, il ne peut s’exonérer d’une autocritique radicale. L’inexistence de la lutte contre le trafic de stupéfiants est dénoncée de longue date par les spécialistes, notamment à Aiacciu.
Ceux qui fréquentent ce service font régulièrement état de leur effarement de le voir aussi démuni de moyens humains, alors que la Corse dispose d’un effectif policier très élevé par tête d’habitant. Or le trafic de drogue est la mère de toutes les délinquances, particulièrement en ce qui concerne la région ajaccienne. Sachant que le blanchiment de l’argent est au cœur des règlements de comptes qui se multiplient en Haute-Corse, il devra aussi se rappeler que l’autorisation de tenir des cercles de jeux parisiens pour les bandits les plus renommés de l’île a été délivrée en 2005 directement depuis le Ministère de l’Intérieur, ou officiait un certain Nicolas Sarkozy, alors que le pôle financier de Bastia, créé il y a bientôt 20 ans à l’instigation du procureur Legras, a été laissé en totale déshérance. P
endant ce temps la JIRS de Marseille cumule tous les effectifs, et toutes les polémiques, sans résultats valables pour faire cesser la spirale de violence qui frappe la Corse. Le gouvernement est face à un choix : réactiver une police et une justice corses que l’on a abandonnées au profit de l’anti-terrorisme de Paris, puis des juridictions spécialisées de Marseille, ou continuer dans les pas d’une politique d’affichage sécuritaire, mise en place par ses prédécesseurs, dont l’échec est aujourd’hui patent. L’assassinat de Maître Sollacaro ne peut être ravalé au rang d’une obscure lutte entre tueurs. Mais il résulte obligatoirement du climat général d’affrontement que l’on a laissé prospéré sur l’île. Il est urgent de mettre en place une lutte enfin efficace pour le réduire.
L’autre choix politique tient aux décisions politiques qu’il faut prendre enfin concernant l’avenir de la Corse pour y consolider une paix durable. Partout dans le monde, les situations politiques instables sont propices aux forces obscures du banditisme, et dans le contexte corse et marseillais d’un banditisme très ancien alimenté par tous les trafics dont Marseille est naturellement le réceptacle comme porte de l’Europe, les quarante années de la «crise corse» ont pesé négativement. L’Assemblée de Corse est en train de tracer un chemin pour trouver un consensus politique d’avenir.
Pourvu que le gouvernement ait suffisamment de bon sens pour saisir cette perche tendue, sans se réfugier derrière les postures jacobines les plus surannées. La mort tragique d’Antoine Sollacaro ne laisse plus de temps pour attendre. Dans les semaines à venir, le gouvernement et François Hollande devront faire leurs choix pour l’avenir de la Corse.”
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