Le terrain du quartier Sainte-Marthe à Embrun recèle dans son sous-sol, bien des secrets. Après avoir été arrêtés, 167 Corses d’Isolaccio-di-Fiumorbo y ont été enterrés en 1808. Deux siècles plus tard, ce cimetière appartient à une famille. Une partie est transformée en potager. Les descendants des Corses se disent “choqués” : ils réclament “un droit d’accès” et “la pose d’une plaque.”
C’est une histoire sur laquelle la loi du silence a longtemps régné. Elle lie les destins des habitants d’Embrun et d’Isolaccio-di-Fiumorbo, village de la plaine orientale corse. Et comme dans beaucoup d’histoires, il a fallu creuser dans le passé pour que les fantômes sortent de l’oubli.
Embrun est le nœud d’un drame qui a frappé les habitants d’Isolaccio, en 1808, sous Napoléon I er. À la suite de troubles, 167 hommes et garçons du village, âgés de 7 à 90 ans sont arrêtés sur ordre du général Morand. Ils sont exilés sur le continent et incarcérés à la maison centrale de détention d’Embrun.
En quelques mois, plus de 100 d’entre eux vont y mourir. Tous auraient été enterrés dans le cimetière dit “des condamnés”, aux côtés d’autres défunts de la maison de détention, dans le quartier Sainte-Marthe. De ce cimetière, il ne reste aujourd’hui qu’un terrain privé orné d’un potager.
“Il semblerait qu’on ait honte d’en parler, mais bon dieu, qu’on en parle !”
Alors que la commune corse s’apprête à commémorer le drame, deux femmes passionnées de généalogie ont récemment découvert que leurs descendants y avaient été enterrés. Martine Baignard est l’une d’entre elles.
En avril dernier, cette habitante de Châteaurenard (Bouches-du-Rhône) décide de se recueillir sur la tombe de son ancêtre. Là, elle se heurte à un mur. « Quand j’ai vu le panneau “défense d’entrer”, j’ai été très choquée. Comment un cimetière peut-il être tombé dans le domaine privé ? » Celle qui n’a pourtant pas d’origine corse porte aujourd’hui à bout de bras ce qui est devenu à ses yeux une cause. Ce “devoir de mémoire” devient donc pour elle une obsession.
Elle épluche les plans du terrain, évalue les mesures… Une lettre est envoyée au Sénat et quelques jours plus tard, contact est pris avec la préfecture des Hautes-Alpes. En Corse, une association en mémoire aux victimes prend le relais.
“Mes parents m’ont toujours dit : “le cimetière a été désaffecté”»
« Il semblerait qu’on ait honte d’en parler, mais bon dieu, qu’on en parle ! » martèle Martine Baignard. Aujourd’hui, les deux descendantes réclament « l’accès au cimetière, la destruction du potager et la pose d’une plaque en mémoire des victimes sur la propriété ».
Seulement voilà, la propriétaire du terrain, Mireille Serres, ne l’entend pas de cette oreille. L’Embrunaise, qui se dit « compréhensive » quant à leur requête, refuse de poser une plaque sur son terrain. Il s’agit pour elle d’une atteinte à la propriété privée. «J’y ai grandi, j’y suis attachée. » Racheté en 1933 par sa grand-mère, le terrain « ne contenait pas de sépultures, sinon on n’aurait jamais pu l’acheter. D’ailleurs, mes parents m’ont toujours dit : “le cimetière a été désaffecté”».
L’argument ne semble pas décourager les deux descendantes pour qui « le cimetière est un lien au sacré». De son côté, la maire d’Embrun, Chantal Eyméoud, ne s’oppose pas à la pose d’une plaque commémorative – mais pas sur le terrain. « Je ne m’autorise pas le droit à l’installer sur une propriété privée. »
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