“Un cadre de la compagnie Veolia m’a écrit gentiment pour me proposer d’acheter la SNCM (Société Nationale Corse Méditerranée) pour un euro ! Je passe sur le fait que ce monsieur n’étant pas propriétaire de l’ensemble des actions de cette société n’a évidemment pas le pouvoir de me l’offrir. Je passe aussi sur le fait qu’une collectivité territoriale n’a pas le droit d’acheter des actions d’une entreprise, sauf à créer une société d’économie mixte, tout cela pour dire qu’il ne s’agit pas d’une proposition réelle mais simplement d’un petit effet médiatique qui a d’ailleurs fait long feu. Mais venons-en aux faits.
Que vaut la SNCM aujourd’hui ? Que valait-elle au moment de sa privatisation ? En 2005, la SNCM a été privatisée à la suite d’un très étrange appel d’offre par lequel une offre de 75 millions d’euros a été écartée au profit d’une offre de 40 millions d’euros, celle d’un certain fonds d’investissement dirigé par un certain M. Butler. Par la suite, le gouvernement de l’époque a recapitalisé la société d’un montant équivalent à l’ensemble de ses dettes et de ses pertes antérieures.
L’Etat a exercé toutes les pressions possibles pour obliger l’Office des transports de la Corse et l’Assemblée de Corse à offrir à cette entreprise une délégation de service public faite sur mesure et lui garantissant une exploitation excédentaire. Et, de surcroît, l’Etat a financé intégralement un plan social qui fut probablement un des plus coûteux par salarié de la décennie. Le fonds d’investissement Butler Capital Partners a cédé immédiatement à la demande de l’Etat la moitié de ses actions au groupe Veolia auquel le gouvernement de l’époque a forcé la main pour qu’il rentre dans cette affaire.
Par la suite, M. Butler a revendu le reste de ses actions à Veolia, il a dégagé une plus-value de 58 millions d’euros qui démontre à l’évidence qu’à ce moment-là précis la valeur de la SNCM était infiniment supérieure à la valeur estimée lors de l’appel d’offre. Après sept ans d’exploitation, nous constatons que la société CMN (Compagnie Méridionale de Navigation), bénéficiant de la même délégation de service public que la SNCM, n’a pas perdu d’argent ni de valeur et qu’elle a même pu réaliser de grands investissements et notamment la construction d’un magnifique cargo mixte baptisé récemment, le Piana. On pourrait donc en déduire naïvement que la SNCM vaut aujourd’hui autant et même plus d’argent qu’au moment de la cession Butler et que sa valeur réelle oscille aux alentours de 200 millions d’euros.
Hélas ! Le seul fait qu’on la propose pour un euro signifie qu’elle ne vaut pas plus cher et d’ailleurs si une société cédait ses biens à un prix inférieur à la valeur réelle, ce serait un abus de biens sociaux répréhensible pénalement. La SNCM a donc annihilé en quelques années plusieurs centaines de millions d’euros alors que, placée exactement dans les mêmes conditions de service, la CMN a gagné de l’argent. C’est donc que la gestion de la SNCM a été catastrophique. Que coûterait la reprise à un euro par la CTC de la SNCM ? La réponse est malheureusement plus qu’inquiétante. Le jour-même de la reprise, il faudrait consentir une avance de trésorerie de 50 millions d’euros. Aussitôt après, il faudrait faire face aux pertes de l’exercice 2011 dont on peut redouter qu’elles soient au moins en dizaines de millions d’euros.
Très vite, il faudrait restructurer, c’est-à-dire faire un plan social, sans avoir la possibilité comme ce serait le cas dans le cadre d’un groupe tel que Veolia Transdev de reclasser les salariés dont les postes devraient être supprimés. Peu de temps après, il faudrait sans doute faire face à la demande de l’Union européenne de rembourser les aides publiques reconnues illégales et, en particulier, le service complémentaire, ce qui représenterait sans doute de l’ordre de 200 millions d’euros. Autrement dit, en me proposant pour un euro cette société, les généreux donateurs vont économiser quelques centaines de millions d’euros et la collectivité territoriale devra payer l’ardoise de leur très mauvaise gestion. Je crois que les choses ne vont pas se passer ainsi.
Il y a une responsabilité de l’entrepreneur et l’idée bien ancrée chez les conservateurs français que l’on doit toujours préserver le caractère privatif des profits et ne jamais hésiter à faire payer aux collectivités publiques, les pertes n’aura pas l’occasion de s’illustrer. Le groupe Veolia Transdev devra assumer ses responsabilités d’entreprise et nous l’aiderons autant que nous pouvons à préserver l’emploi. Les conditions de la privatisation de la SNCM seront éclairées par une commission d’enquête parlementaire qui ne vise pas le groupe Veolia bien au contraire puisqu’il a été plutôt une victime dans cette affaire, mais qui permettra peut-être de savoir à qui a profité, en définitive, la plus-value spectaculaire et indue de Butler Capital Partners.
Je voudrais qu’il soit très clair que les affaires publiques sont gérées dans le cadre des lois et des règlements et non pas en essayant d’impressionner l’opinion par des gestes théâtraux. La Collectivité Territoriale de Corse assumera ses responsabilités, que les entreprises privées délégataires assument les leurs, et que les groupes qui les dirigent, en l’espèce la Caisse des dépôts et Veolia, fassent preuve d’un peu de dignité.”
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