L’assemblée générale de Corsica Libera annoncée conflictuelle n’a pas débouché sur une scission. Les indépendantistes ont au contraire affirmé une capacité d’assumer et faire coexister une majorité et une minorité.
La mouvance nationaliste est plus que coutumière des scissions. Certaines ont même débouché sur des affrontements meurtriers. Les rumeurs qui ont précédé l’assemblée générale de Corsica Libera autorisaient à envisager une cassure entre les courants Corsica Nazione conduit par Jean-Guy Talamoni (la plus puissante et la mieux organisée) et Rinnovu ayant pour leader Paul-Félix Benedetti. Les tensions apparues ces derniers mois au sein du mouvement indépendantistes étaient d’ailleurs bel et bien susceptibles de provoquer une rupture. Depuis l’été, il relevait du secret de Polichinelle qu’un différent était apparu concernant l’appréciation de l’action clandestine. Corsica Nazione ne remettait pas en cause l’exécution par le FLNC (en riposte à l’assassinat d’un militant de Corsica Libera), d’une personne présentée comme appartenant à la sphère du grand banditisme. En revanche, Rinnovu se montrait troublé, voire critique. A ce différent s’en était ajouté un autre. Celui-ci consistait en deux conceptions différentes de la direction du mouvement. Corsica Nazione était favorable à une direction majoritaire tirant sa légitimité d’un vote des militants. Rinnovu et quelques autres souhaitaient conserver la forme de direction collégiale qui avait été mise en place lors de la création de Corsica Libera.
Selon Paul-Félix Benedetti et ses amis, la collégialité interdisait un hégémonisme de Corsica Nazione et garantissait le pluralisme au sein du mouvement. Aussi, ils entendaient s’en tenir au schéma pour le moins original retenu lors de la création de Corsica Libera en février 2009 à l’issue d’un processus de refondation engagé par plusieurs mouvements. En effet, bien qu’ayant obtenu environ 10% des suffrages à l’occasion du scrutin territorial de mars 2010 et que comptant un groupe à l’Assemblée de Corse (quatre conseillers), ce mouvement n’avait ni président, ni secrétaire général. Il était dirigé par un exécutif d’une trentaine de membres et un organe délibérant représentant les sections ; instances qui reflétaient toutes deux des équilibres savants entre les mouvements fondateurs. Or, ces derniers mois, l’affirmation de divergences rendait inopérant ce mécano politique et organisationnel. Ce qui avait pour conséquences de paralyser le fonctionnement du mouvement et de rendre inaudible son message. De plus, les absences remarquées se multipliaient lors de rendez-vous importants tels que la présentation de candidats aux élections législatives.
Une majorité claire
L’éventualité d’une alternance politique au plan national pouvant offrir l’opportunité de nouveaux rapports avec Paris, ainsi que la nécessité de relancer la proposition faite aux autonomistes de construire une démarche commune d’accession aux responsabilités territoriales, imposaient d’en finir avec l’immobilisme et le défaut de majorité légitimée par un vote des militants. C’est l’option qui a été défendue dans la motion présentée par Jean-Guy Talamoni et ses partisans : « Nous avons besoin d’une direction solide, respectée, représentative de l’ensemble du mouvement et de ses sensibilités (…) L’absence d’élection de l’Exécutif a laissé croître des velléités internes depuis plus d’une année » Craignant d’être marginalisés par une majorité Corsica Nazione, Paul-Félix Benedetti et quelques autres ont mis en garde contre la volonté d’un leadership et estimé que n’étaient pas réunies les conditions d’un débat serein. Pourtant, l’assemblé générale a bien eu lieu et, en définitive, s’est déroulée plus que convenablement dans un amphithéâtre qu’avaient investi des centaines de militants. Si les échanges ont parfois été vifs et bien que la composante Rinnovu n’ait présenté ni motion ni liste, aucun dérapage irréversible n’est survenu.
On a même pu entendre des voix invitant au compromis. « L’élection des membres de l’exécutif n’est pas antinomique d’un fonctionnement consensuel basé sur le compromis et l’équilibre au sein du mouvement » a souligné une motion défendue par Michel Giraschi. Alors que Pierre Poggioli affirmait : « Il faut donner aux sensibilités les moyens de continuer à être partie prenante de la démarche de C.L, tout en se pliant au débat démocratique et aux décisions prises ». En outre, à l’issue de l’assemblée générale, après que Rinnovu ait confirmé rester au sein du mouvement, la majorité Corsica Nazione a affiché sa satisfaction, mais s’est gardée de tout triomphalisme. Se félicitant que l’assemblée générale ait rendu la parole aux militant et que ces derniers se soient emparés des textes et clairement prononcés, les majoritaires ont souhaité que tout le monde se mette au travail et précisé que chacun avait toute sa place au sein de Corsica Libera.
L’heure est donc à la maturité.
Nul ne semble vouloir renouer avec les anathèmes et les ruptures. Les dirigeants et même les minoritaires paraissent disposés à dépasser les divergences et à valoriser le fait que près de 600 militants se soient déplacés pour débattre à partir de trois motions, et que se soit ainsi affirmée une dimension démocratique. Il faudra certes encore du temps pour que s’impose à tous l’idée que Corsica Libera ne peut rester une juxtaposition de mouvements, mais doit devenir un seul mouvement qui, tout en acceptant les courants et les tendances, refusera les positionnements ou les postures en marge. Plus de 500 militants se sont prononcés en ce sens. Ce qui n’est pas rien…
Pierre Corsi
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