Lors de votre meeting marseillais, vous avez déclaré: ” Quand on aime la France, on ne propose pas de ratifier la charte des langues minoritaires et régionales… c’est le communautarisme qui est au bout du chemin.”
Ce discours, aux forts accents jacobins, prend une résonance particulière en Corse. Si je peux entendre très objectivement la crainte pour la France comme pour d’autres États membres de se voir déposséder par l’Europe de la gestion de ses minorités, en revanche je trouve la menace de communautarisme audacieuse et pour tout dire spécieuse.
A qui fera-t-on croire qu’une langue “minoritaire” victime de sa situation diglossique, à peine véhiculée par quelques milliers de locuteurs, serait une menace pour la langue française, parlée aujourd’hui encore par des millions de francophones?
A qui fera-t-on croire qu’une poignée de langues régionales, si elles étaient reconnues, menaceraient le pacte national en attentant à l’indivisibilité de la République?
Pour tout dire je crains et je veux croire que vos propos étaient moins l’expression d’une conviction qu’une phrase dictée par un de vos conseillers en marketing électoral. Or l’affaire est trop sérieuse et je n’accepte pas l’idée de voir ma langue sacrifiée sur l’autel d’une stratégie électoraliste.
Et soyons clair, la langue dont je vous parle, Monsieur le candidat, n’est pas pour moi un motif de repli insurrectionnel aux relents d’indépendance mais tout au contraire un objet de cohésion sociale et un facteur d’ouverture sur le monde. La langue dont je vous parle, Monsieur le candidat, est consubstantielle de ce que je suis. Je l’ai reçue en héritage. Un héritage fragile et menacé. Un patrimoine moins protégé qu’une baleine, un jardin ou une cathédrale au motif qu’il est immatériel. La langue dont je vous parle, Monsieur le candidat, est constitutive de mon identité et de ma dignité. Je ne la veux pas exclusive de mon appartenance à la République française.
Aussi je vous conjure d’être à nouveau celui qui déclarait en 2007 “vouloir légiférer afin de poser la reconnaissance juridique des langues de France”. Refaites de cette campagne électorale un temps d’ouverture et de réflexion pas une séquence de clôtures et de crispations.
Un chef d’Etat qui se bat à l’échelle du monde pour une nouvelle gouvernance en faisant entendre la voix si particulière et si originale de la France ne peut pas être celui qui, de retour à Paris, nie dans son pays la diversité au motif qu’elle en menace l’ unité. Il n’est pas un État, pas un seul, Monsieur le candidat, ni l’Italie, ni la Hongrie, ni la Roumanie, ni l’Espagne, ni l’Allemagne qui ait perdu son unité nationale en reconnaissant officiellement le multilinguisme. En réalité, il y a belle lurette que l’unité de la nation française est acquise, Monsieur le candidat, et la brèche saillante qui fait lentement craquer ce bel édifice n’est rien moins que l’ordre économique mondial dont vous dénoncez les effets ravageurs, ceux qui rendent les Français et les autres de moins en moins citoyens et de plus en plus consommateurs.
Dans ce contexte, vous avez compris que la France a besoin d’être forte. Mais la force d’un pays ne peut pas se limiter à une rhétorique centralisatrice et pour tout dire anachronique. La force de la France résidera dans sa propension à inventer un nouveau modèle de vivre ensemble, notamment en considérant la diversité comme une chance et non plus comme une menace.
C’est à cette condition, Monsieur le candidat, que les citoyens de demain pourront de nouveau reconnaître la République comme un privilège et la France comme une chance. En Corse comme ailleurs. Ailleurs comme en Corse.
Je vous prie de croire, Monsieur le candidat, à mes sentiments républicains et dévoués.
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