Le FLNC a tout simplement mis le doigt dans un engrenage dangereux : la « justice » expéditive qui coûte très cher à notre île et à sa population depuis des siècles.
Le FLNC a récemment revendiqué « l’élimination physique » d’un homme. Pour expliquer cette action, il a accusé l’intéressé d’être le responsable d’un groupe mafieux ayant assassiné un de ses militants. Cette revendication n’a qu’à moitié surpris, même si personne ne voulait croire qu’elle surviendrait. Après l’assassinat, en juin dernier, d’un nationaliste présenté comme étant un de ses militants, l’organisation clandestine avait laissé planer la menace d’une riposte.
En effet, lors d’une conférence de presse, elle avait averti : « ceux qui ont accompli cet acte n’ont pas mesuré sa portée, ni ses conséquences. Notre organisation saura faire face ». Cette revendication ne peut être analysée comme un acte politique ordinaire. Il n’est même pas possible de la situer dans le prolongement d’autres actions meurtrières commises et assumée par les clandestins dans le passé. En effet, ces dernières avaient toutes un point commun : l’organisation clandestine concernée percevait à tort ou à raison une menace mortelle pesant sur sa structure provenant d’un acteur politique, en l’occurrence un dissident, un mouvement clandestin ou une officine téléguidée par des services ou des serviteurs de l’Etat. Cette fois, il n’en est rien. Le FLNC est intervenu suite à une agression, certes perpétrée contre un de ses militants, mais n’ayant a priori aucun enjeu politique majeur. Que ce militant ait ou non – nous postulerons volontiers que non et ferons de même concernant l’autre protagoniste car nul juge ou tribunal digne de ce nom n’a fait de l’un ou de l’autre un prévenu ou un coupable – ait été de près ou de loin mêlé intentionnellement ou involontairement à un conflit, ne change rien à l’affaire. Le FLNC a tout simplement mis le doigt dans un engrenage dangereux : la « justice » expéditive qui coûte très cher à notre île et à sa population depuis des siècles.
Ni débat, ni vote
Ceci peut expliquer en bonne partie le refus de la classe politique d’ouvrir un débat à l’Assemblée de Corse. En effet, quel intérêt politique ou pédagogique aurait pu avoir un tel débat ? François Tatti et le groupe Gauche républicaine ont certes proposé un fil conducteur. Dans un projet de motion, ils ont demandé que soient condamnés tous les actes criminels commis en Corse, qu’il soit exigé de l’État qu’il use de tous les moyens régaliens pour mettre un terme à l’escalade meurtrière et que soit condamnée la revendication « par laquelle le FLNC a tenté de légitimer un assassinat en le qualifiant d’acte de justice ». Les demandeurs n’ont obtenu ni le vote de leur motion, ni un débat. La conférence des présidents de groupe en a décidé ainsi. Ce rejet de l’initiative de la Gauche républicaine est, comme annoncé plus haut, explicable et on ajoutera, pertinent. Pourquoi, à cette occasion, condamner des actes criminels, demander à l’Etat d’agir ou stigmatiser le FLNC pour s’être arrogé le droit de juger ? Chaque homicide n’est-il pas condamnable ? L’Etat n’est-il pas tenu, de par son existence-même, de tout faire pour prévenir ou réprimer les actes portant atteinte aux personnes ou aux biens ? N’est-il pas évident que nul, y compris le FLNC, n’a le droit de s’ériger en justicier ? Débattre et voter seraient tout bonnement revenu à donner le label « extraordinaire » à une action qui n’est, hélas, que des plus communes. Il était effectivement plus logique et raisonnable de saisir de ces questions la commission ad hoc mise en place par l’Assemblée de Corse pour aborder la problématique très complexe que représente la violence endémique dans l’île. De plus, débattre et voter eût contribué à donner un relief particulier à l’action du FLNC, alors que celle-ci n’a été que la manifestation du fait que cette organisation n’échappe pas à un mal collectif qui ronge l’île. En effet, une société où le prix du sang est devenu aussi bas que chez nous, ne peut être considérée comme bien portante.
Si nous ne réagissons pas…
A ce stade, au lieu de condamner des faits condamnables, de mettre en cause un Etat dont chacun sait qu’il est défaillant ou de stigmatiser un FLNC qui d’ailleurs se garde bien de plastronner (n’écrit-il pas qu’il voudrait ne plus avoir à adresser ce type de revendication), il serait sans doute plus utile que les uns et les autres nous nous livrions à une démarche d’appropriation individuelle et collective de valeurs humaines et morales. Non pas d’ailleurs uniquement selon une approche du commandement « Tu ne tueras point », mais en revisitant nos rapports à la vie collective, le sens que nous donnons à nos vies personnelles et la vision du monde que nous souhaitons transmettre à nos enfants. La lecture attentive de la lettre ouverte adressée par Mme Manunta aux médias, devrait d’ailleurs nous y inciter. Affirmant le nécessité de « faire barrage à la folie meurtrière », elle rappelle d’abord combien nous sommes collectivement défaillants (sans s’exempter de sa propre responsabilité) :»Quand une femme a été tuée il y a quelques mois, froidement exécutée dans le dos, je me suis émue comme toute la Corse, de l’escalade que cet événement représentait. Nous nous sommes tous interrogés avec angoisse – mais sans réagir véritablement – sur l’ultime mais terrible seuil qui restait à franchir : un enfant visé par des tueurs. J’ai frissonné d’épouvante alors, sans pouvoir imaginer une seconde que ce serait ma Carla-Serena, la première concernée par cet horrible crescendo. Non, dans mes pires cauchemars, je n’ai jamais pensé que ma petite fille de 10 ans serait le premier enfant de Corse à être visé et atteint par les rafales d’une arme de guerre ». Puis à partir de ce constat, elle prévient et exhorte : « Je suis encore aujourd’hui glacée d’horreur en repensant à nos agresseurs, tirant sur elle et moi délibérément continuant après que mon mari a quitté notre véhicule, indéniablement décidés à supprimer une famille entière. Cette scène d’épouvante inédite en Corse, je sais maintenant dans le tréfonds de ma chair que si nous ne réagissons pas, elle peut se reproduire, car une ligne rouge a été franchie (…) Quelles que soient nos idées, nous ne pouvons pas accepter de le voir couler (le sang). Ce serait assassiner l’avenir de notre île. Ce serait condamner la Corse à mort. »
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